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29 mars 2020 7 29 /03 /mars /2020 17:10

Depuis le 17 mars 2020, nous sommes confinés.

La seule fenêtre sur le monde est la réalité vue à travers le prisme de la télévision, des médias et des réseaux sociaux.

Il y a quelques milliers d'années, Platon a écrit le mythe de la caverne. Le philosophe grec imagine que nous vivons enchaînés dans une caverne. Sur le mur, les ombres se projettent à travers la lumière du feu que nous avons allumé. Nous prenons ces ombres pour la réalité.

Un jour, l'un de ces prisonniers sort de la caverne. Il est ébloui par la lumière du soleil. Il comprend que ce qu'il prenait pour la réalité n'était que des ombres.

Il retourne raconter cette révélation à ses camarades restés dans la caverne. Ceux-ci ne le croient pas et le tuent.

Ils préfèrent vivre dans le mensonge qu'ils ont eux-mêmes créés plutôt que d'affronter la vérité même si elle peut être douloureuse.

A méditer...

 

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26 juillet 2019 5 26 /07 /juillet /2019 19:04
Entrez dans le bureau insolite et personnalisé de Danielle Steel

Maxim Simonienko - 03.06.2019

Danielle Steel c'est 179 livres, traduits dans 43 langues, dont vingt-deux adaptés à la télévision. L'auteure a même été inscrite dans le Livre Guinness des records pour avoir gardé son nom pendant 390 semaines dans le top des best-sellers du New York Times. Ses mots d'ordre : « Il n'y a pas de miracles. Il n'y a que de la discipline », affichés à la porte d'un bureau assez spécial...
 
crédits : Danielle Steel

 
En entrant dans la pièce, située à San Francisco, la première chose qui frappe, c'est cette pile de livres géants portant les titres de trois romans de Daniel Steel : StarCoup de coeur et Cher Daddy. Bien que tant d'égocentrisme puisse être difficile à concevoir, c'est bien la forme de son bureau.

Ce dernier est noyé sous les feuilles, les pochettes et les différents petits cadeaux offerts par ses neuf enfants. De toute cette montagne de papier et d'objets en tout genre s'élève l'Olympia 1946, la machine à écrire de Danielle Steele, que l'auteure surnomme affectueusement « Olly ».

« Olly est une grosse et lourde machine et elle est plus vieille que moi », confie Steele. Les deux ne se sont jamais séparés en 70 ans et elles travaillent ensemble entre 20h et 22h par jour, à partir de 8h30 du matin.

« Mort ou vive, beau temps ou mauvais temps, je vais à mon bureau et je fais mon travail. Parfois, je finis un livre le matin et à la fin de la journée, j'ai commencé un nouveau projet », ajoute l'auteure de La Belle Vie. « Je ne me couche pas avant d'être si fatiguée que je pourrais dormir par terre. Si [je dors] quatre heures, c'est vraiment une bonne nuit pour moi ».

Son dernier roman en date est intitulé Blessing in Disguise, paru aux éditions Delacorte Press. La traduction de l'oeuvre devrait paraître l'année prochaine en France.

En France, alors qu’elle devait basculer chez HarperCollins France, a finalement décidé de renouveler sa confiance au groupe Editis, en continuant la publication de ses titres aux Presses de la Cité.
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28 septembre 2018 5 28 /09 /septembre /2018 14:42
Eva Illouz : "l'idéologie du bonheur est le bras armé du capitalisme"
Eva Illouz : "l'idéologie du bonheur est le bras armé du capitalisme"
Eva Illouz : "Quoi de plus pratique pour des dirigeants que la promesse du bonheur, pour endormir et dominer les peuples ?" (DR)

"Happycratie" en est à sa troisième réimpression, un mois après sa sortie. Nous étions les premiers à en parler, dans ce grand entretien avec Eva Illouz. Nous le republions, en accès libre jusqu'à samedi.

 

Dans « Happycratie », Eva Illouz et Edgar Cabanas s'attaquent avec brio à la dictature du bonheur. Un livre édifiant, important et urgent, pour comprendre l'emprise d'une idéologie devenue mondiale au service du pouvoir. Entretien avec la sociologue franco-israélienne.

L'OBS. Vous êtes franco-israélienne. En dépit des tensions qui le traversent, Israël est régulièrement classé parmi les pays les plus heureux du monde. Comment l'expliquez-vous?

Eva Illouz. Ces études commanditées par les Etats reposent sur une méthodologie grossière et erronée. Daniel Kahneman, le prix Nobel d'économie, a réalisé toute une série d'expériences qui démontrent que les gens ne savent pas évaluer leur niveau de bien-être. Je vous en livre un exemple. A un premier groupe de personnes, on demande de plonger la main une minute dans une eau glacée. A un second, on demande de plonger la main dans une eau tout aussi glacée, mais au bout d'une minute on réchauffe l'eau d'un seul petit degré et on y maintient la main une minute supplémentaire. Alors que l'expérience est objectivement plus désagréable, à la fin, le deuxième groupe lui donne pourtant systématiquement une note plus haute que le premier.

A mon sens, plus que le bonheur, ce que ces études internationales mesurent, c'est l'image que les gens veulent donner d'eux-mêmes et croient devoir donner. Il se trouve qu'en Israël domine dans les mentalités l'idée qu'on doit être résolument optimiste. «Tout va s'arranger» (Ha kol ihiye beseder, en hébreu) est la phrase courante applicable à tout désastre.

 

 

Dans «Happycratie», vous lancez justement une charge virulente contre la psychologie positive et l'idéologie du bonheur qu'elle promeut au point d'en avoir fait une industrie (coaching, livres de développement personnel, shows télé…).

C'est une idéologie qui a non seulement produit une industrie brassant des milliards mais aussi des politiques publiques aux effets pernicieux. Quoi de plus pratique en effet pour des dirigeants que la promesse du bonheur, pour endormir et dominer les peuples ? La psychologie positive s'est tellement bien exportée qu'on trouve aujourd'hui des «classes du bonheur» jusqu'à Delhi, en Inde: des modules quotidiens ont été conçus par le ministère de l'Education à l'attention des écoliers, dans le but de réduire un malaise social croissant. Comme en Israël, le pays va mal, mais on vous dit : «Circulez, il n'y a rien à voir.»

"Avec la psychologie positive, le malheur et la pauvreté deviennent une question d'échec psychique"

Dans quel contexte la psychologie positive apparaît-elle?

Il faut revenir sur l'évolution intellectuelle de la psychologie aux Etats-Unis. La psychanalyse avait pour propriété de montrer que nous n'étions pas entièrement responsables de nos sentiments et de nos actions parce qu'ils émanaient d'une structure psychique non consciente. Or, dans les années 1960 et 1970, la psychologie a totalement changé de prémisses avec le développement de la psychologie du moi qui a soutenu non seulement que la personnalité mettait beaucoup plus de temps à s'établir que la psychanalyse ne le disait, mais qu'en plus le moi pouvait lui-même se transformer.

Cette nouvelle approche a rencontré d'autant plus de succès que la psyché américaine s'est construite sur le mythe très puissant du self-made-man. Ce mythe fondateur, mis en récit par Horatio Alger au XIXe siècle, va irriguer l'industrie du «self-help», l'aide à soi-même, qui est un thème central de la culture économique et morale américaine. Son raisonnement est tautologique: si on est capable de «se prendre en main», cela signifie qu'on est travailleur, industrieux, courageux, qu'on a finalement les qualités morales pour réussir. Et inversement, si on a des qualités morales, on doit réussir.

Quand émerge la psychologie positive à la fin des années 1990, le terrain est donc prêt. En outre, si la psychanalyse s'adressait à des névrosés, la psychologie positive, elle, va élargir son champ et son marché à tout le monde, mentalement bien ou mal portant, en proposant le bonheur comme nouvel horizon du moi.

La promesse est évidemment attrayante, surtout dans une nation qui, comme vous le rappelez, a inscrit le droit au bonheur dans sa Constitution.

L'idée de bonheur est au cœur même du projet de la société libérale. La grande affirmation de Jeremy Bentham, l'un des principaux théoriciens de la philosophie libérale, c'est que le but de la politique consiste à augmenter le bonheur (Bentham disait le plaisir) et à diminuer la souffrance. C'est une façon radicalement nouvelle, qui était progressiste à l'époque, de penser la relation entre gouvernants et gouvernés. Mais alors que dans la philosophie antique, par exemple, le bonheur est lié à la vertu, Bentham opère une disjonction entre les deux, la société libérale refusant de dicter aux gens leur orientation éthique. La psychologie positive est en quelque sorte un stade avancé de ce projet; je dirai qu'elle exprime une philosophie publique «néolibérale». Car, chez Bentham, il s'agissait d'augmenter le niveau de bien-être collectif. 

Tandis que la psychologie positive va mettre l'accent sur l'individu. Elle utilise la notion de «responsabilité» pour opérer une distinction qualitative entre ceux qui ont la capacité de s'élever au-dessus de leur misère ordinaire et ceux qui en restent prisonniers. Dans cette pensée, le malheur et la pauvreté deviennent une question d'échec psychique, et le bonheur ou la réussite une disposition intérieure du moi sur laquelle les circonstances extérieures auraient une influence minime. C'est pour cela qu'il y a une telle affinité élective entre le néolibéralisme et la psychologie positive. Cela permet d'oblitérer les facteurs sociaux objectifs et de faire peser sur l'individu l'entière responsabilité de sa situation. Les implications politiques sont évidentes: il devient parfaitement inutile de s'efforcer de réduire les inégalités.

©Patric Sandri pour "L'Obs"

Le 12 juin dernier, Emmanuel Macron, par le biais d'une vidéo, créait la polémique en déclarant: «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux, et les gens, ils sont quand même pauvres, on n'en sort pas.» Et il ajoutait qu'ainsi «on déresponsabilise».

Le président illustre mon propos! La responsabilité, dans le vocabulaire moral et juridique traditionnel, c'est la capacité d'assumer le rôle qu'on a pu jouer dans une faute. Or, le néolibéralisme prône le retrait de l'Etat et la responsabilisation des individus pour qu'ils se prennent en charge: on nage ici en plein thatchérisme. Margaret Thatcher ne disait-elle pas qu'il n'y avait pas de société mais seulement des individus? En ce sens, la poursuite du bonheur, telle que la conçoivent les apôtres de la psychologie positive, n'est finalement rien d'autre que la servante des valeurs individualistes imposées par la révolution culturelle néolibérale.

 

 

"La psychologie positive est une philosophie de l'oubli"

Revenons à la genèse de la psychologie positive. Comment s'élabore cette nouvelle «science du bonheur»?

Dans les couloirs de l'université. Martin Seligman en est le principal fondateur. Professeur et chercheur à l'université de Pennsylvanie, Seligman s'est d'abord fait connaître par ses travaux sur «l'impuissance apprise» (learned helplessness). Il avait par exemple montré que, pour deux groupes de sujets soumis à un bruit très strident, dont l'un avait la possibilité de l'arrêter et l'autre pas, le groupe qui s'était trouvé dans l'impossibilité de faire cesser le bruit n'y parvenait pas davantage quand on renouvelait l'expérience en offrant pourtant cette fois l'accès à un interrupteur. Seligman montrait ainsi qu'on peut très vite apprendre le sentiment d'impuissance.

S'il avait eu juste un brin de marxisme en lui, Seligman aurait pu avoir la bonne idée de se servir de cette observation pour étudier comment les classes sociales défavorisées apprennent très tôt le sentiment d'impuissance, c'est-à-dire comment la vulnérabilité devient paralysie, et comment, peut-être, ce sentiment peut se désapprendre. Mais ce n'est pas du tout la direction qu'il a prise. Il s'est en effet aperçu que dans le deuxième groupe, si la plupart des individus avaient appris l'impuissance, un tout petit nombre s'était en revanche entêté à arrêter le bruit et y était parvenu. Il s'est concentré sur ces quelques personnes et a commencé à échafauder l'idée qu'elles avaient des ressources potentiellement reproductibles. Dès lors, Seligman a affirmé que la psychologie avait jusque-là fait fausse route en se polarisant sur la misère humaine, les pathologies et les victimes, et qu'il fallait au contraire se focaliser sur tout ce qui est positif en nous afin de développer notre potentiel.

Ce qui n'est à première vue pas dénué d'intérêt, voire de bonnes intentions, si l'on définit correctement le but d'une telle recherche.

Bien sûr, je peux comprendre son désir, mais Seligman a mis sa théorie au service du pouvoir: les grandes entreprises et l'armée. En 1998, Seligman s'est fait élire président de l'Association américaine de Psychologie (APA) et a annoncé son projet de créer un nouveau champ de recherche indépendant: une «science se fixant pour tâche première la compréhension de ce qui fait que la vie mérite d'être vécue», capable d'offrir les clés psychologiques de l'épanouissement personnel et à même d'être diffusée partout à travers le monde. Rien de moins.

Les chèques de fondations ne sollicitant que des «winners» commencèrent aussitôt à pleuvoir. Dès l'année 2001, la Fondation John-Templeton, une institution religieuse ultra-conservatrice, versait 2,2 millions de dollars pour aider à la création du Centre de Psychologie positive et de formations diplômantes, au sein même de l'université. En 2009, elle signera à nouveau un chèque de 5,8 millions pour un programme consacré à «l'exploration du rôle du bonheur et de la spiritualité dans une existence réussie».

Suivirent les financements de multinationales comme Coca-Cola, qui y voyaient l'occasion de découvrir des méthodes pour augmenter la productivité et l'implication des salariés dans la culture d'entreprise. Car si, comme le promet la psychologie positive, on peut augmenter le bien-être des salariés par des techniques qui les obligent à travailler sur eux-mêmes sans rien changer de fondamental dans la structure de l'entreprise et du pouvoir, aussi vertical et autoritaire soit-il, alors les bénéfices sont immenses. Le dirigeant va même augmenter son pouvoir, puisque le plus grand pouvoir qu'on puisse exercer sur quelqu'un c'est de lui procurer du plaisir.

Cela correspond parfaitement au projet de gouvernement néolibéral soft qui promet le plaisir, et en procure même peut-être, en donnant aux individus le sentiment qu'ils sont à la fois libres, responsabilisés et capables d'augmenter la maîtrise de leur vie. Et d'ailleurs, plus nous vivons dans un monde littéralement immaîtrisable, où la responsabilité des dirigeants devient extrêmement diffuse, plus la responsabilisation des citoyens ordinaires et des travailleurs devient exigeante.

 

 

Vous disiez que l'armée américaine avait également été intéressée par le projet de Seligman. Comment?

C'est sans doute l'exemple le plus parlant. L'armée lui a alloué 145 millions de dollars pour développer le programme Comprehensive Soldier Fitness («remise en forme totale du soldat»), afin d'entraîner les militaires à combattre le stress post-traumatique et d'améliorer le moral des troupes. On a spontanément envie de dire: «Pourquoi pas?» Le problème, c'est que rendre une psyché résiliente, si cela marche trop bien, c'est le genre de ressource qui vous rend imperméable à votre propre souffrance et à celle que vous infligez aux autres. La psychologie positive fonctionne en effet comme un écran entre notre réaction psychique et la cause de celle-ci, puisqu'elle professe que la cause est sans intérêt et que seule compte notre volonté de nous en sortir. C'est vraiment une philosophie de l'oubli.

"La pensée positive rend la souffrance proprement inintelligible"

Quelles sont les conséquences sociales et morales d'une telle idéologie?

L'impératif du bonheur instaure d'abord une nouvelle hiérarchie émotionnelle entre les gens heureux ou de bonne humeur et ceux qui ne le sont pas ou se plaignent. Chacun d'ailleurs commence à interpréter chez les autres et chez soi-même le fait de se sentir mal comme une faiblesse, une incapacité à être ce qu'on devrait être - fort et positif.

Alors que pour les romantiques, par exemple, le mal-être donnait du prestige; longtemps, chez les artistes, la souffrance était supposée être synonyme de créativité, de lucidité, d'esprit. Nous sommes donc les témoins d'un changement profond dans ce qui constitue ce type de capital émotionnel et symbolique: ce n'est plus la sensibilité en tant que marque d'une intelligence supérieure qui compte, mais l'adaptabilité, la flexibilité, la capacité de rebondir et de ne rien attendre des autres, en particulier ni de votre employeur ni de l'Etat.

Cette inversion hiérarchique est très visible dans les livres de développement personnel où l'on vante, pour réussir, la «cheerfulness», c'est-à-dire le fait de projeter de la bonne humeur et la capacité d'entraîner les autres par son propre enthousiasme. Dans l'entreprise, cela a pour conséquence de privilégier un type de personnalité supposé amener une plus grande productivité ainsi qu'une plus grande capacité à diriger.

En somme, l'entreprise élimine «les gens à problèmes».

Oui, mais quand vous y pensez, éliminer les gens à problèmes, c'est aussi une façon plus subtile d'éliminer les gens de classes sociales défavorisées, davantage susceptibles d'avoir vécu des difficultés objectives.

Un autre effet de cette pensée est de changer radicalement le rôle de la souffrance dans la construction de soi. Alors que les sagesses orientales ou occidentales étaient des façons de vivre et d'accepter la souffrance comme faisant partie du processus d'apprentissage de l'existence, la pensée positive rend la souffrance proprement inintelligible, parce qu'étrangère et même ennemie de la psyché bonne. Elle est ainsi vécue comme un motif de culpabilité. Ce qui suscite un méta-sentiment très fort chez l'individu: non seulement il souffre, mais il a honte de souffrir.

En juin dernier, à quelques jours d'intervalle, deux célébrités new-yorkaises, la styliste Kate Spade et le chef Anthony Bourdain, se sont donné la mort. Les gens ont été extrêmement choqués par ces suicides, parce qu'aujourd'hui on pense automatiquement «succès égale bonheur»: on oblitère la dimension tragique propre à toute vie humaine.

Qu'est-ce, au fond, qu'un individu heureux, suivant cette idéologie du bonheur?

Pour Seligman, c'est celui qui arrive à transformer l'adversité, la souffrance ou tout événement traumatisant (viol, guerre, attentat…) en occasion de se développer et de travailler ses muscles psychiques. Un peu comme si on disait qu'un corps modèle est celui qui après un accident doit pouvoir faire chaque jour une course de 10 kilomètres.

En vérité, la psychologie positive est une science de charlatans qui veut faire de nous des Pangloss, c'est-à-dire des gens qui arrivent à interpréter tous les malheurs en occasions et signes que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le Pangloss de Voltaire était un représentant du clergé. Les psychologues positifs, eux, sont les défenseurs d'une nouvelle théodicée laïque qui nous enseigne que ce que nous vivons comme souffrance n'est que l'expression de notre insuffisance morale et cognitive, et qu'il faut donc y travailler.

 

 

"La souffrance était une source de prise de conscience collective immense"

Comment, d'un point de vue politique, est-il encore possible de concevoir une révolution avec des citoyens qui ne pensent plus bien collectif mais recherche du bonheur individuel, des «happycondriaques anxieusement focalisés sur leurs moi respectifs», dites-vous ?

La révolution est devenue proprement impensable. Dans la mesure où les individus se convainquent que leur destin est simple affaire d'effort personnel et de résilience, c'est la construction collective même d'un changement sociopolitique qui se trouve compromise. A cet égard, il est clair que la psychologie positive vise à nous faire accepter les principes du monde néolibéral. Si la religion demande un travail constant pour arracher les péchés de soi, la psychologie positive, elle, exige un travail harassant pour se défaire des pensées négatives. Et par là, elle crée de l'obéissance.

Il y a un lien, me semble-t-il, entre cette psychologisation et cette privatisation des problèmes et la disparition des grandes visions politiques, notamment l'absence de renouveau de la pensée progressiste de gauche depuis les années 1970-1980. A quel point la causalité est-elle forte? Je ne saurais le dire. Mais la psychologie positive a bien eu pour effet immédiat de créer un néolibéralisme de la souffrance: au lieu de parler de la souffrance collective, la psychologie privatise la souffrance en vous en rendant seul propriétaire, avec des droits d'auteur qui plus est.

Or la souffrance était une source de prise de conscience collective immense. C'est comme cela que des groupes marchaient ensemble. La solidarité est fondée sur le sentiment que ce que je vis est aussi le lot d'autres personnes. Le féminisme, par exemple, a commencé à pouvoir transformer l'expérience émotionnelle des femmes en forces politiques quand sont nés dans les années 1960 aux Etats-Unis les «consciousness-raising groups», des groupes où les femmes partageaient leurs histoires et prenaient conscience qu'elles subissaient un sort commun. D'ailleurs, l'écrivaine féministe Betty Friedan, dans «la Femme mystifiée», avait dénoncé les psychologues qui accusaient de névroses les femmes souffrant de leur condition.

Ce défaut de solidarité propre à nos sociétés néolibérales pourrait-il expliquer qu'on assiste aujourd'hui à des phénomènes de révolte plutôt qu'à de vrais mouvements révolutionnaires?

L'hypothèse est intéressante. On pourrait imaginer qu'en l'absence de capacité à théoriser la souffrance, à lui donner un nom, celle-ci se manifeste de façon non réfléchie, avec un côté bombe humaine. Dans le monde du travail, on parle des burn-out, qui sont le résultat d'une culture de la performance où c'est la psyché elle-même qui est sommée d'être performante et sans arrêt améliorée. Comme si le moi devenait une marchandise à jeter et à recréer constamment pour être «up-gradée». C'est une logique parfaitement adaptée à celle du marché, reposant sur le principe de la destruction qui permet de consommer à nouveau. Seulement, ce travail permanent sur soi est ironiquement antithétique avec la possibilité d'être heureux.

Herbert Simon, le prix Nobel d'économie 1978, avait parlé de «satisficing» pour signifier le seuil de satisfaction d'une personne. Et souvent, en effet, le bonheur tient à la capacité de se contenter du «good enough», de ce qui est suffisamment bien. La maximisation à laquelle invite la psychologie positive entraîne avec elle sa propre tyrannie: elle place l'individu en position d'instabilité et de perpétuelle insatisfaction.

 

 

Une dernière question. Vous venez de passer l'été à Jérusalem. Comment observez-vous le changement législatif faisant d'Israël l'Etat-nation du peuple juif ?

L'Israël d'aujourd'hui, c'est la France de la IIIe République, qui était passionnément politique, et intensément divisée entre ceux qui croyaient à la mystique du sang et de la terre et ceux qui défendaient l'universalisme et les droits de l'homme. Israël est divisé entre ceux qui croient au sang juif et à l'annexion légitime des territoires occupés et les héritiers du vieux sionisme social-démocrate. La grande différence cependant, c'est que malheureusement en Israël le camp qui croit à la mystique de la nation a gagné.

Propos recueillis par Marie Lemonnier

Eva Illouz, bio express

Directrice d'études à l'EHESS (Paris), Eva Illouz enseigne aussi la sociologie à l'université hébraïque de Jérusalem. Ses travaux portent sur la marchandisation des émotions et le «capitalisme affectif». Elle est l'auteur de plusieurs essais traduits dans de nombreuses langues, dont «les Sentiments du capitalisme» (Seuil, 2006) et «Pourquoi l'amour fait mal» (2012). Elle publie aujourd'hui, avec Edgar Cabanas, «Happycratie», aux éditions Premier Parallèle. 

Paru dans "L'OBS" du 23 août 2018.

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14 septembre 2018 5 14 /09 /septembre /2018 13:14
En dix ans, le nombre de personnes condamnées pour viol a chuté de 40 %

Le nombre de plaintes pour viol et agression sexuelle augmente, mais, depuis l’affaire d’Outreau, les exigences en matière de preuves sont plus fortes

LE MONDE | • Mis à jour le | Par

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Le constat a de quoi surprendre. Le nombre de condamnations pour viol par la justice française a chuté de quelque 40 % en dix ans, selon le service statistiques de la chancellerie. De 1 652 condamnations par les cours d’assises pour ce crime en 2007, dont 1 350 pour viol aggravé, on est tombé à 1 003 condamnations en 2016, dont 851 pour viol aggravé, selon des données publiées le 6 septembre, sans la moindre explication.

La libération de la parole sur ces infractions, alors que la police estime pourtant que seule une victime de viol sur dix porte plainte, serait-elle une vue de l’esprit ? Ou la justice serait-elle sourde aux appels des gardes des sceaux successifs à une répression plus sévère de ce fléau ?

Le contraste apparaît saisissant comparé avec l’évolution rigoureusement inverse du nombre de plaintes pour viol enregistrées par la police ou la gendarmerie : 14 130 personnes se sont déclarées victimes de tels faits en 2016, soit 40 % de plus en dix ans (un pourcentage calculé par nos soins à prendre avec précaution puisque la méthode de comptage du ministère de l’intérieur a changé au cours de la période).

Lire aussi :   En 1978, le procès qui a changé le regard de la France sur le viol

Aucun des magistrats contactés, au siège comme au parquet, pour réagir à ces chiffres-chocs ne semblait avoir conscience d’une baisse nationale du nombre de sanctions pour ce crime, et encore moins de son ampleur. Cette tendance n’a rien d’un accident statistique, elle frappe par sa régularité sur la période. Le phénomène aurait une origine multifactorielle.

Tendance contre-intuitive

Il serait tentant d’y voir la marque de la « correctionnalisation » dont les parquets et les juges d’instruction usent depuis quelques années. En déqualifiant des faits de viols – un crime – en agression sexuelle – un délit –, les magistrats orientent la procédure vers les juges professionnels du tribunal correctionnel, réputés moins sensibles au doute que les jurés d’assises, lorsque le dossier ou la personnalité de la victime comporte des fragilités. Ce circuit est parfois aussi choisi pour accélérer tout simplement la survenue du procès, en évitant les cours d’assises totalement débordées.

La peine prononcée pour un viol est en moyenne de 9,6 années de prison ferme

Or, le nombre de condamnations judiciaires pour agressions sexuelles, y compris, donc, les viols « correctionnalisés », a lui aussi chuté en dix ans, certes dans une proportion moindre : moins 20 %, à 4 602 condamnations. Cette tendance concerne également les atteintes sexuelles sur mineurs, dont on relève 332 condamnations en 2016, soit 24 % de moins en une décennie.

Pour autant, on ne peut pas parler d’un accès de clémence de la justice puisque, dans le même temps, « on constate un alourdissement des peines prononcées au cours du temps, qui concerne aussi bien les viols que les agressions sexuelles », notent les statisticiens de la chancellerie. La peine prononcée pour un viol est en moyenne de 9,6 années de prison ferme. Dans les cas de récidive, relativement peu nombreux puisque seuls 6 % des condamnés avaient déjà un casier judiciaire avec une condamnation pour violences sexuelles, le quantum moyen de la peine est de 15,7 ans ferme.

Lire aussi :   La loi sur les violences sexuelles et sexistes définitivement adoptée

Au ministère de la justice, on invoque plusieurs facteurs pour expliquer cette tendance contre-intuitive. D’abord l’engorgement de la justice. En bout de chaîne, les dossiers de viols en attente de procès devant les cours d’assises s’accumuleraient (mais aucun chiffre n’est disponible), avec autant d’éventuelles condamnations reportées dans le temps. En amont, la durée des informations judiciaires s’allonge, sous le double effet de l’encombrement des cabinets de juges d’instruction et du recours croissant aux techniques scientifiques d’enquête, comme les analyses ADN.

Enfin, l’allongement, en 2004, du délai de prescription des viols et agressions sexuelles sur mineurs à vingt ans, à compter de leur majorité de la victime, a sans doute contribué à faire émerger des plaintes pour des faits anciens, que la justice met davantage de temps à démêler.

« L’aveu survalorisé »

Mais Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie, observe un « effet Outreau » : les années 1990 et le début des années 2000 avaient été marquées par une forte progression du nombre de condamnations. L’opinion publique, elle, était sidérée par le nombre de victimes dans l’affaire du « violeur et tueur de l’Est parisien », Guy Georges, dans le scandale Marc Dutroux en Belgique, et surtout dans l’affaire d’Outreau, dans laquelle dix personnes seront condamnées en première instance à de la prison ferme pour pédophilie. Mais en décembre 2005, l’acquittement général en appel avait clos cinq années de feuilleton médiatico-judiciaire.

A partir de 2005, la chancellerie constate une diminution du nombre d’affaires nouvelles pour infractions sexuelles sur mineurs, alors que celles sur les majeurs augmentent, mais surtout une augmentation importante du nombre d’affaires non poursuivables concernant les mineurs. Les magistrats seraient ainsi sensibles aux émotions du moment, de l’opinion et des médias. Finalement, il y a moins de condamnations pour viol en 2016 qu’en 1994 !

Lire aussi :   Les pompiers de Paris visés par trois enquêtes pour violences sexuelles

Selon M. Badr, l’affaire d’Outreau a « contribué à renforcer les exigences probatoires dans les enquêtes dans lesquelles les paroles de la victime et de l’auteur s’opposent. Cet effet s’est ressenti sur les infractions de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles sur mineurs, avec un plus grand nombre d’acquittements et de relaxes ».

L’échec de la justice à appréhender de façon sereine ce type de criminalité qui, souvent, a lieu dans le huis clos familial est « sans doute lié à la tradition judiciaire et policière française qui a survalorisé l’aveu », explique un magistrat chercheur qui préfère rester anonyme. « Et quand il n’y a plus d’aveu, il n’y a plus rien dans le dossier ! »

Déperdition statistique

D’une manière générale, le décalage entre le nombre de plaintes et le nombre de condamnations s’explique par l’importance des classements sans suite décidés par les parquets. Selon une étude publiée en mars par le ministère de la justice sur les « décisions du parquet et de l’instruction », 73 % des personnes mises en cause dans des affaires de violences sexuelles (viols, agressions sexuelles, harcèlement) bénéficient d’un classement sans suite. Le plus souvent, en raison de preuves insuffisantes pour caractériser l’infraction, de la question du consentement difficile à dénouer dans les affaires conjugales, etc.

Le classement sans suite est parfois justifié par les souvenirs imprécis de la victime en raison de son état au moment des faits. Un motif qui inquiète les parquets, alors que les agressions à l’égard de personnes alcoolisées ou droguées semblent constituer un phénomène en développement. La déperdition statistique se poursuit au fil de la procédure. Un tiers des auteurs présumés qui ont franchi le premier tamis du parquet et ont été mis en examen par un juge d’instruction bénéficient d’un non-lieu total à l’issue de l’information judiciaire.

Il est trop tôt pour savoir si l’affaire Weinstein et l’émotion provoquée par l’ampleur du mouvement #metoo et #balancetonporc de fin 2017 se traduiront par une nouvelle inversion de la courbe des condamnations à partir de 2018.

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13 septembre 2018 4 13 /09 /septembre /2018 12:47
Marcel Gauchet : « La domination masculine est morte »

Dans un entretien au « Monde », le philosophe explique pourquoi la fin du patriarcat est liée à la sortie de l’organisation religieuse de nos sociétés.

LE MONDE | • Mis à jour le | Propos recueillis par

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Historien et philosophe notamment attaché à penser L’Avènement de la démocratie (Gallimard, quatre tomes, 2007-2017), Marcel Gauchet est également rédacteur en chef de la Revue Le Débat qui, pour son 200e numéro, a consacré un dossier au « masculin en révolution ». Il s’explique sur les raisons et les conséquences de cet « événement énorme » qu’est la fin du patriarcat. 

Lire aussi :   Féminisme : « Nous voulons toutes l’égalité, mais ne sommes pas d’accord sur la manière d’y parvenir »

« Nous sommes en train d’assister à la fin de la domination masculine », écrivez-vous. Pourtant, de fortes inégalités (sociales, notamment) persistent, des emprises comportementales subsistent, sans parler de certains droits politiques que l’on refuse encore aux femmes dans certaines régions du monde…

Distinguons le constat et l’explication. Le fait de ces inégalités persistantes ne se discute pas. Mais il y a deux manières très différentes de les comprendre. Ou bien on considère qu’elles traduisent une domination masculine inchangée en son fond, en dépit des principes affichés, et il faut nous dire en quoi celle-ci consiste. Ou bien on les regarde comme l’héritage d’une domination archi-millénaire, mais dont on peut identifier le principe pour constater qu’il est mort, ce qui veut dire que ces résidus du passé sont en train de se résorber pour de bon et appelés à disparaître. C’est cette seconde thèse qui me paraît la bonne.

Le mouvement #metoo est-il donc davantage le signe de la fin du patriarcat que celui de sa persistance ?

Cette révolte a traduit dans les actes une rupture qui était acquise dans les têtes. La manière même dont elle s’est répandue comme une traînée de poudre en balayant les oppositions montre que l’espèce de tolérance qui continuait d’entourer les comportements de prédation sexuelle n’avait plus aucun fondement. Ils sont tenus pour inacceptables au regard de la nouvelle norme commune. Il suffisait d’une occasion pour que celle-ci devienne explicite.

Pourquoi la question religieuse est-elle, selon vous, aux sources de la hiérarchie des sexes ?

Question énorme, qui engage l’analyse de ce qui a organisé les sociétés humaines d’aussi loin qu’on les connaisse. Vous me permettrez de résumer grossièrement un phénomène particulièrement compliqué. Le problème constitutif des sociétés, c’est d’assurer leur continuité dans le temps, indépendamment du fait que leurs membres ne cessent de se renouveler dans le cycle des morts et des naissances. Les religions ont répondu à ce problème en plaçant l’organisation collective dans la dépendance d’un fondement surnaturel et intangible.

Mais cette perpétuation culturelle exige évidemment le support de la reproduction biologique. Or celle-ci passe par les femmes qui font les enfants. C’est là que se joue leur subordination, dans l’appropriation sociale de cette puissance cruciale et sa soumission à l’impératif plus élevé de continuité culturelle, reporté du côté des hommes. La « valence différentielle des sexes » dont parle Françoise Héritier a été fonction de cette production de la transcendance temporelle des sociétés.

Dans quelle mesure la fin de la domination masculine est-elle liée à la « sortie de la religion » ?

La sortie de la religion, bien comprise comme sortie de l’organisation religieuse des sociétés, a consisté pour une part essentielle dans une objectivation du cadre collectif et de son mécanisme de perpétuation qui a permis l’émancipation des individus en général, hommes et femmes confondus. Car la domination masculine n’était qu’un des visages de l’assujettissement de tous à ces impératifs du fonctionnement social. Les dominants étaient eux-mêmes dominés par un système de rôles qui s’imposait à eux. Aussi, dans l’ensemble, sont-ils loin de se plaindre de cette perte de leur position privilégiée.

Le phénomène touche-t-il uniquement l’Occident ?

Comme la sortie de la religion en général, le phénomène a son foyer actif en Occident, mais il rayonne à l’échelle du globe, avec des effets contradictoires d’attraction et de répulsion. Il rencontre partout des échos, il suscite le désir, il éveille des vocations, à l’instar des autres aspects de la modernité occidentale. Mais dans la mesure où il est aussi très déstabilisant pour des sociétés qui continuent de fonctionner largement sur un mode traditionnel, il provoque des crispations et des rejets. La partie n’est pas jouée, mais il n’y a pas de lieu de la planète où elle ne soit engagée.

La fin du paternalisme est-elle aussi la fin d’une certaine structure, idée ou représentation de la famille ?

Les deux phénomènes sont inséparables. La domination masculine qui se concrétisait dans la figure du père allait de pair avec une vision bien définie du statut et du rôle de la famille. Celle-ci était l’institution primordiale chargée de la fabrique du social, le creuset où s’opérait, grâce à la hiérarchie des sexes et des générations, l’articulation de la reproduction biologique et de la reproduction culturelle. C’est sur elle que reposait la perpétuation collective sous la forme de la continuité des lignées. Ce que traduisait la formule fameuse qui l’érigeait en « cellule de base de la société ».

Il ne reste rien de cette ancienne fonction. La famille n’est plus une institution dans la rigueur du terme, dont le père serait le « chef ». Elle est une association privée de personnes égales en vue de leur épanouissement affectif. Aussi est-elle plus populaire qu’elle ne l’a jamais été. Elle était un lieu de fortes contraintes sociales. Elle est devenue un havre de libertés intimes.

N’y a-t-il pas une chance à saisir pour les hommes d’inventer une autre manière d’être père, amant, patron ou ouvrier ? En un mot, les pères sont-ils « des mères comme les autres » ou sont-ils en train d’expérimenter d’autres figures et modèles ?

Ce travail de réinvention est déjà en cours. Il se cherche dans la confusion. Il n’y a plus de rôles prédéfinis. Les anciens sont désaffectés. C’est spécialement vrai, bien sûr, des rôles familiaux. Alors que le rôle maternel conserve une espèce d’évidence (qui n’empêche pas de profondes évolutions), le rôle paternel s’est spectaculairement vidé de sa substance. La figure traditionnelle du chef de famille qui représentait la grande société auprès de la petite société familiale et l’inverse n’a plus aucune signification. Mais les pères de fait sont là. Ils ont à trouver leur place.

Devant cette improvisation nécessaire, il y a plusieurs attitudes possibles. La solution de facilité consiste à s’aligner sur le rôle qui reste le mieux identifié. Cela donne la position modeste et tranquille d’« assistant maternel » auquel vous faites allusion. Pour nombre de jeunes hommes, à l’opposé, c’est le refus qui l’emporte : refus de la paternité même, refus de la famille, voire refus du couple. Et puis il y a les explorateurs qui s’efforcent d’apporter une réponse originale à ce défi. Mais au-delà du théâtre privilégié que constitue la famille, c’est toute la vie sociale qui est concernée. Nous sommes à un moment charnière du « processus de civilisation » où le code de la coexistence des sexes est en train de se redéfinir.

Dans quelle mesure, comme vous l’écrivez dans « Le Débat » n° 200, la pornographie est-elle un « machisme sans souci de domination », puisque la soumission au désir masculin demeure la règle, même si certaines réalisatrices revendiquent un « porno féministe » ?

Vu de loin, on peut avoir l’impression, en effet, que rien n’a changé, que la règle de la soumission au désir masculin est restée la même. Mais il faut regarder de plus près l’image de la femme que véhicule cette fantasmatique pornographique pour s’apercevoir que ce n’est vrai qu’à moitié, ce qui me fait parler de « machisme sans domination ». La domination patriarcale impliquait la possession exclusive et la réduction des femmes à l’enfantement.

En gros, aux hommes la sexualité, aux femmes la procréation, « la maman et la putain ». Rien de pareil dans l’imaginaire pornographique. Sa figure dominante est celle d’une lubricité féminine hyperactive où le désir des femmes va au-devant de celui des hommes et même le domine. Je n’ai aucune peine à comprendre que des réalisatrices revendiquent un « porno féminin ». Etre le jouet sexuel d’une ou plusieurs femmes est un fantasme pour beaucoup d’hommes. Sur ce terrain-là aussi, on est sorti de l’espace imaginaire de la domination.

Les garçons sont-ils davantage touchés par le « désinvestissement scolaire » ou se plongent-ils dans une « culture de l’immaturité » en raison de cette émancipation féminine ?

La fin de la domination masculine a bouleversé l’horizon de l’entrée dans la vie pour les jeunes garçons. Il était dominé par la perspective de la prise en charge d’une famille, avec ce que cela impliquait de responsabilisation. Ce moteur a disparu. Si l’on y ajoute le brouillage de l’entrée dans le monde du travail lié à la fois à l’omniprésence du chômage chez les jeunes et aux transformations du travail lui-même, on conçoit que la démotivation soit au rendez-vous pour bon nombre d’entre eux.

Il reste l’horizon de la réussite personnelle. Mais il est apparemment moins mobilisateur que ne l’était celui de l’insertion dans la société avec une identité professionnelle forte et une responsabilité familiale. Cela se traduit dans le frappant recul de l’appétit scolaire que l’on observe et le désir de retarder le plus possible l’entrée dans une vie active qui ne fait pas envie.

Pourquoi la fin de la domination masculine et l’hégémonie du modèle maternel laissent-elles un vide symbolique, et comment le combler ?

Dans un monde démocratique d’individus libres et égaux, l’exercice de l’autorité est nécessairement soumis à deux exigences qu’il n’est pas facile d’accorder. L’égalité veut que tout le monde obéisse aux mêmes règles impersonnelles, qui s’appliquent indépendamment des particularités personnelles. Mais la liberté pousse, elle, dans le sens d’une mise en avant des singularités. Le modèle paternel d’autorité, dans sa dernière version, adaptée à l’univers démocratique, précisément, plaçait l’accent sur l’abstraction et l’impersonnalité des règles, jusqu’à écraser ces singularités. Il ne voulait pas les connaître. C’est ce qui explique la révolte qu’il a fini par provoquer.

L’autorité du maternel qui a pris sa place est centrée à l’opposé, sur le souci empathique des situations et des personnes, qui n’exclut pas la responsabilité. Mais elle laisse entière la question de la règle vraiment valable de manière identique pour tous ; la règle indispensable pour que les membres d’une collectivité aient le sentiment qu’au travers de cette règle qu’ils définissent ensemble, ils ont la maîtrise de leur destin collectif. C’est cette absence que nos sociétés ressentent si fort et qui en train de devenir notre problème politique. Nous ne sommes pas au bout de l’histoire.

Lire aussi :   « L’émancipation des femmes est une histoire sans fin »

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5 septembre 2018 3 05 /09 /septembre /2018 14:44
Changement climatique: «La seule façon de s’en sortir est de voir les choses sous un angle positif»

Si même Nicolas Hulot considère que le gouvernement de la septième économie mondiale ne fait pas assez pour ne serait-ce que «s’adapter» à la «tragédie climatique» actuelle, peut-on raisonnablement être optimiste quant à l’avenir de l’humanité sur Terre?

Une dose d'optimisme ne fait pas de mal: quarante-neuf pays ont déjà derrière eux leur pic d’émissions de CO2. | Thomas Hafeneth via Unsplash License by
Une dose d'optimisme ne fait pas de mal: quarante-neuf pays ont déjà derrière eux leur pic d’émissions de CO2. | Thomas Hafeneth via Unsplash License by

En 2011, dans un article consacré au changement climatique, l’hebdomadaire britannique The Economist écrivait: «Quand la réalité change plus rapidement que la théorie le prévoit, un certain degré de nervosité est une réponse raisonnable». Mardi 28 août, quand Nicolas Hulot a annoncé sa démission en direct sur France Inter, l’heure n’était plus à la nervosité. «Je n’ai plus la foi» a avoué l’ex-ministre, regrettant que ses anciens collègues du gouvernement sous-estiment, voire ignorent les défis posés par le changement climatique. Pour lui, on est encore loin du changement de système de production nécessaire afin d'endiguer la catastrophe annoncée. Sa ou son successeur, dont on attend encore la nomination, aura-t-il un regard plus optimiste sur sa mission?

En approuvant l’accord de Paris en 2015, tous les États du monde (sauf la Syrie et le Nicaragua, qui s’y sont toutefois engagés depuis) ont accepté entre autres de «renforcer la réponse globale à la menace du changement climatique» en «contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels» et en «renforçant les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques».

 

Les articles sur les conséquences à moyen et long termes du changement climatique se multiplient et deviennent de plus en plus angoissants, tout comme les déclarations des spécialistes du climat. La planète a été tellement modifiée par l’être humain qu’elle serait entrée dans l’anthropocène, une nouvelle époque géologique qui commence autour de 1950, a conclu un groupe de chercheurs internationaux et pluridisciplinaires, le Anthropocene working group (AWG).

Un changement climatique en partie inéluctable

La Terre se réchauffe d’environ 0,17°C par décennie. Si rien n'est fait –et surtout si le réchauffement s'accélère– cela mènera, entre autres, à une fonte irréversible des glaces arctiques (qui réfléchissent une grande partie du rayonnement solaire et évitent à la planète de surchauffer), à une élévation du niveau de la mer (et à la disparition de nombreuses villes côtières), au dégel des terres gelées en Arctique (qui libère des gaz à effet de serre) ainsi qu’à une perturbation globale de l’écosystème terrestre.

«Le réchauffement climatique en cours est en partie inéluctable, estime Olivier Boucher, climatologue à l'institut Pierre-Simon Laplace (CNRS/Sorbonne Université). Il aura des impacts importants, mais il n'est pas non plus de nature à conduire à l'extinction de l'espèce humaine. Il faudra donc à la fois le contenir au maximum et s'y adapter. Ne pas le faire, ou le faire de manière désordonnée, engendrera des souffrances importantes, en particulier pour les plus vulnérables.»

Un effet domino

Ces derniers mois, les États-Unis ont signifié vouloir sortir de l’accord de Paris et Donald Trump a exprimé son intention de lever des restrictions sur la production de charbon pour doper l’économie américaine –malgré des effets sanitaires néfastes à court terme en raison des particules fines. L’Australie souhaite à son tour sortir de l’accord de Paris et l'ouverture de nouvelles centrales à charbon y est à l'étude. L’objectif parisien de 2°C est déjà considéré comme obsolète...

Pour couronner le tout, une étude a révélé cet été que si la température augmente de 2°C au-dessus du niveau préindustriel, un effet domino se mettrait probablement en place, qui ferait grimper encore plus le mercure. La Terre deviendrait irrémédiablement une étuve, impliquant des changements dramatiques pour tous les êtres vivants.

Avec les exemples américains et australiens (où se meurt doucement la grande barrière de corail), on peut légitimement douter de la volonté des humains à conserver leur cadre de vie sur la planète où ils sont pourtant les plus aptes à vivre. L’humanité est-elle perdue? Doit-on profiter des 200-300 ans à venir pour faire la fête, gaspiller et vivre à fond les derniers moments d’hospitalité de la Terre? Ou peut-on encore avoir une lueur d’optimisme?

«Tout n’est pas perdu»

Pour Johan Rockström, directeur du centre sur la résilience de Stockholm, tout n’est pas perdu: «La planète Terre est résiliente. Elle arrive encore à absorber une grande partie de la pression qu’on exerce sur elle. Il y a toujours des poissons en abondance dans l’océan, toujours de l’atmosphère pour absorber les gaz à effet de serre, il y a toujours de grandes forêts tropicales pour contenir l’exploitation non-renouvelable».

«Nous sommes dans une ère de schizophrénie scientifique. Il n’y a jamais eu autant d’évidences scientifiques sur les risques globaux que nous encourons, mais jamais non plus tant d’opportunités et de lumière au bout du tunnel»

Johan Rockström, directeur du centre sur la résilience de Stockholm

En septembre 2017, il s’exprimait ainsi devant des étudiants du MIT: «Nous sommes dans une ère de schizophrénie scientifique. Il n’y a jamais eu autant d’évidences scientifiques sur les risques globaux que nous encourons, mais jamais non plus tant d’opportunités et de lumière au bout du tunnel».

Johan Rockström met en évidence le fait que les questions d’écologie n'ont jamais été aussi présentes qu’à notre époque, et que les mesures visant à protéger la planète occupent une place grandissante dans l’agenda des États comme des entreprises. Avec des événements climatiques de plus en plus extrêmes, il est difficile d’ignorer que quelque chose de grave est en train de se passer. L’étude parue cet été sur la transformation de la Terre en étuve a été téléchargée plus de 360.000 fois en moins d’un mois, un vrai record.

Le moment est venu de passer à l’action

«L’Europe est consciente des problèmes écologiques, tout comme le Canada, la Chine et une partie de l’Amérique latine, assure Catherine Jeandel, océanographe au CNRS et membre de l’AWG. Les effets de l’Homme sur la nature commencent à coûter de l’argent, et, dès qu’on touche au portefeuille, ça fait bouger les gens!»

Même aux États-Unis, pays traditionnellement climato-sceptique, 73% de la population reconnaît désormais la réalité du changement climatique (90% des Démocrates, 50% des Républicains), et 60% estiment qu’il est d’origine humaine.

D’après Johan Rockström, il s'écoule généralement vingt-cinq ans entre les premiers avertissements scientifiques et les premières actions politiques y répondant. Les premiers moments de saturation terrestre ayant eu lieu au début des années 1990, il est grand temps de passer à l’action.

Garder le cap, manifester, être créatif

Reinhold Leinfelder, géologue à l’Université libre de Berlin et autre membre de l’AWG, partage cet avis: «La recherche sur l’anthropocène ne s’arrête pas au simple constat de l’impact de l’Homme sur l’environnement: nous sommes maintenant à l’ère de la responsabilité, politique, économique et sociétale. Je ne suis pas un irréductible optimiste, je vois bien les problèmes qu’il y a, les blocages au niveau politique et l’absence de prise de conscience internationale. Mais il faut garder le cap, manifester, anticiper des solutions, avoir une approche créative des choses… Cela peut être amusant, voire passionnant de trouver de nouvelles technologies et de nouvelles pistes!»

«Si nous sommes cette force géologique immense, si nous avons amené le système planétaire au bord du point de non-retour, nous devrions arriver, sur la base de nos connaissances, à faire de la Terre un système qui fonctionne pour les générations futures»

Reinhold Leinfelder, géologue à l’Université libre de Berlin

Pour les chercheurs de l’anthropocène, puisqu'il n’y a plus ou presque de nature vierge de toute activité humaine et que les humains sont devenus une force géologique, la différence entre nature et culture disparaît. L’être humain fait partie intégrante de son environnement et doit apprendre à vivre en symbiose avec lui –plutôt que de le parasiter.

Reinhold Leinfelder en est convaincu: «Si nous sommes cette force géologique immense, si nous avons amené le système planétaire au bord du point de non-retour, nous devrions arriver, sur la base de nos connaissances, à faire de la Terre un système qui fonctionne pour les générations futures. Un changement radical de façon de penser est nécessaire: tout ce que je fais, et tout ce que font les autres se ressent sur le système de la Terre. Chaque individu et chaque collectivité en porte la responsabilité».

 

Si pour Elon Musk la survie de l’humanité passe par une colonisation d’autres planètes, toutes et tous les scientifiques interrogés plaident pour un changement sociétal fondamental ici sur Terre. Des solutions technologiques de retrait de CO2 se développent et de nombreuses grandes entreprises investissent dans la transition énergétique. D’après l’Institut sur les ressources mondiales, quarante-neuf pays ont déjà derrière eux leur «pic» d’émissions de CO2. Et une dose d’optimisme ne fait pas de mal: «Le catastrophisme est inhibant, rappelle Catherine Jeandel. Il est essentiel de voir les choses sous un angle positif, c'est la seule façon de s'en sortir!».

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4 septembre 2018 2 04 /09 /septembre /2018 14:37
Lionel Naccache : « Les neurosciences sont encore dans une phase d’émerveillement  »

Le chercheur en neurosciences Lionel Naccache parraine notre collection « Les défis de la science » pour partager sa fascination pour la conscience et ses altérations.

LE MONDE | • Mis à jour le | Propos recueillis par

 

Parrain de la collection « Les défis de la science », le professeur Lionel Naccache est neurologue et chercheur en neurosciences (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, ­Inserm, Institut du cerveau et de la moelle épinière). Ses travaux portent en particulier sur la conscience et ses altérations. Ce féru de philosophie et d’éthique (qui est ­membre du Comité consultatif national d’éthique) a aussi écrit plusieurs essais parus chez Odile ­Jacob, dont le récent Parlez-vous cerveau ? (224 pages, 17 euros), ainsi que Le Chant du ­signe (2017) et L’Homme réseau-nable (2015).

On dit que le cerveau humain est l’objet le plus complexe de l’Univers. Est-ce cette complexité qui vous a poussé à l’étudier ?

Je n’ai pas le goût de la complexité pour la complexité. Evidemment – et au-delà du seul cerveau –, il faut s’y frotter et en faire usage, mais un principe très sain est de ne pas la cultiver à tout prix. Sinon cela s’apparente souvent à une forme de lâcheté, en science comme en politique et dans la vie. Souvent, la complexité rend mou.

Lire aussi :   Collection « Les défis de la science »

Les personnes qui ont compté dans mon éducation scientifique, comme Stanislas Dehaene – avec qui j’ai fait ma thèse – ou Laurent Cohen, ont une même disposition d’esprit : rendre les phénomènes compliqués le plus simple possible. Au lycée j’étais attiré par la philosophie et la physique. Ce qui me stupéfiait le plus, c’était qu’une créature matérielle puisse avoir une vie mentale, puisse se dire : « J’existe. »

En physique et en astronomie, les instruments sont de plus en plus performants. On a pourtant l’impression qu’à chaque fois, le réel se dérobe. Partagez-vous ce sentiment ?

Notre discipline est plus jeune que celles que vous citez. Les neurosciences de la cognition naissent dans l’après-guerre, avec des cybernéticiens, des psychologues, des mathématiciens. Elles sont issues des noces de la théorie du ­neurone avec la psychologie cognitive, qui ­commencent vers 1970-1980. Nous sommes ­encore dans une phase d’émerveillement, de stupéfaction de nos découvertes. Nous n’avons pas de quoi capturer le réel de façon suffisamment étroite et précise pour le voir continuer à s’échapper, comme c’est le cas, par exemple, en physique des particules.

Vos outils sont-ils trop « primaires » ?

Je ne sais pas. Ce sont peut-être même nos concepts, nos idées qui le sont. C’est pourquoi ce domaine a besoin d’interdisciplinarité, pour être enrichi par des échanges, par exemple avec des philosophes ou des mathématiciens qui ­acceptent de se confronter vraiment à nos ­résultats de recherche. Un des défis est de faire parler deux disciplines entre elles : c’est vital mais compliqué, et souvent raté !

Vous dites qu’on défriche encore. N’est-il pas surprenant que l’on ne sache pas ce qu’est, par exemple, la mémoire ?

On sait quand même beaucoup de choses, comme l’importance du dialogue de l’hippocampe et des régions néocorticales dans la ­fabrique d’un souvenir. On a ainsi découvert que la direction prédominante de ces échanges s’inverse entre l’état de veille et le sommeil profond, et comment la réactivation et la reconsolidation répétées d’un souvenir vont faire que l’hippocampe ne sera finalement plus nécessaire à son évocation.

Cela explique pourquoi des patients ayant des lésions de l’hippocampe sont capables de réactiver des souvenirs ­anciens, mais sont pénalisés pour en fabriquer de nouveaux. Il s’agit là d’éléments extrêmement précis sur les mécanismes de la mémoire, mais aussi sur la psychologie : le souvenir est un objet vivant, qui peut être modifié, comme l’a montré l’Américaine Elizabeth Loftus. Cela ­conduit assez vite à des questions éthiques, sur le rapport à la vérité, par exemple.

Il faut être lucide vis-à-vis du fait que nos ­souvenirs ne se construisent pas à partir de rien, qu’ils peuvent subir des transformations, et que celles-ci parlent aussi de nous.

Mais qu’en est-il de la matérialité de la mémoire au niveau cellulaire ?

Là, je dois dire que nous demeurons assez largement ignorants. Nous disposons certes d’un modèle général, formulé par l’Américain Donald Hebb dès les années 1940, qui décrit la mémoire sous la forme d’une dynamique ininterrompue de pondérations de poids synaptiques dans des réseaux de neurones, dont la structure elle-même est modifiée par tous les principes de renforcement, d’apprentissage, de synchronicité d’événements neuronaux. Mais les détails ultimes de ce modèle appliqué à nos souvenirs humains demeurent des thèmes de recherche fondamentale majeurs.

La question qui pour moi est ici fascinante est la transition entre un souvenir stocké de manière implicite et sa réactivation sous forme explicite.

A-t-on besoin de repenser les frontières ­entre neurologie et psychiatrie ?

En France, la neuropsychiatrie a disparu en 1968 : l’année où toutes les barrières sont tombées, un mur a été élevé entre la neurologie et la psychiatrie, qui ont été officiellement ­séparées. Il y a des raisons objectives à cela, mais on a besoin d’une réunification du langage et des expertises, notamment dès lors qu’on parle de la vie mentale, de la prise de ­décision, des émotions… Les hallucinations d’un patient atteint d’une maladie neurodégénérative à corps de Lewy [apparentée à la maladie d’Alzheimer], et celles d’un schizophrène sont des phénomènes finalement assez proches, même si la cause initiale n’est pas la même. Pour le soin des maladies mentales, on devra inventer une nouvelle neuropsychiatrie.

Le neuroscientifique est appelé à éclairer la société sur des cas de responsabilité, dans des affaires judiciaires, ou pour estimer un état de conscience. Comment percevez-vous ce rôle d’expert ?

D’abord, il ne faut pas oublier, dans l’univers judiciaire, que les magistrats aussi sont des sujets, et qu’il y a donc beaucoup de biais cognitifs dans la prise de décision. Une étude israélienne a ainsi montré que la sévérité des peines augmentait en fonction de la faim au fil de la journée. Cela plaide pour une justice lucide sur ce qu’est être humain des deux côtés de la barre !

Une autre question est de déterminer la responsabilité d’un individu auteur d’un comportement illégal. Les recherches remettent en cause une vision naïve du libre arbitre. Le ­concept d’agentivité semble plus opérant. Nos actions sont déterminées par des processus dont certains échappent à notre conscience, pour autant, il demeure une nuance très importante entre des actions dont vous vous sentez subjectivement l’agent (« C’est moi qui commande ma main ») et d’autres dont vous n’êtes pas l’agent (par exemple votre dernier clignement d’yeux, dont vous pouvez prendre conscience sans penser en être l’agent volontaire).

Il est possible de construire une éthique de l’action et de la responsabilité à partir de cette distinction.

Dans le cas d’une expertise sur l’état de conscience, l’avis du spécialiste est capital pour l’arrêt ou la poursuite de soins, c’est une lourde responsabilité…

Cette expertise a deux objectifs principaux. Tout d’abord établir un diagnostic le plus précis possible, et ne pas passer, par exemple, à côté de patients conscients qui ne sont pas reconnus comme tels. D’autre part, essayer de préciser le pronostic :quelle est pour un patient donné la probabilité de retour à la conscience, et à une vie relationnelle. Une étude récente de l’équipe de Louis Puybasset, qui dirige le département d’anesthésie-réanimation de la Pitié-Salpêtrière, et à laquelle nous avons participé a montré ­l’intérêt de l’IRM par tenseur de diffusion chez des patients qui ont souffert d’une anoxie cérébrale par arrêt cardiaque. Avec cet examen, vous pouvez reconstruire les voies de connexion ­cérébrales et évaluer les chances de retrouver la ­conscience, ou pas, dès sept à dix jours après ­l’accident cardiaque.

Il s’agit de questions évidemment essentielles auxquelles nous répondons avec plus ou moins d’assurance. Il est capital de prendre en compte – et de communiquer – notre propre degré de certitude, et donc aussi notre doute. Nous avons ainsi récemment suivi un jeune homme qui était initialement dans le coma puis dans un état végétatif suite à une cause rare et potentiellement réversible. Ce patient est aujourd’hui pleinement conscient et a ­retrouvé une autonomie.

Il est également fondamental de comprendre que les réponses apportées à ces deux questions ne permettent évidemment pas d’apporter une prise de décision univoque sur le devenir d’un malade. Le principe essentiel me semble ici de s’approcher au plus près de la singularité de chaque situation (ce qu’il ou elle pensait, ce que ses proches pensent…) pour adapter la prise en charge et les prises de décision en cas de complications graves.

La définition des différents états de conscience évolue, notamment grâce à vos travaux…

En décembre 2017, j’ai publié un article dans Brain pour proposer une nouvelle classification, car il règne une confusion dommageable. Or, bien nommer les choses est essentiel. Ainsi, quand on affirme qu’un malade non communicant – dont on ignore l’état de ­conscience – est en état de « conscience minimale », on se trompe par « abus de langage ». Poser ce diagnostic revient en réalité uniquement à affirmer avec certitude que le comportement de ce patient révèle la contribution de certains réseaux de son cortex. Ceci est ­précieux en termes de diagnostic et de pronostic de retour à la conscience car sans cortex, nul espoir n’est ici permis.

Toutefois de nombreux comportements ­faisant intervenir le cortex ne sont pas ­conscients. Le terme d’état de conscience ­minimale, intermédiaire entre état végétatif et conscience, devrait donc être remplacé par ­celui d’état cortical ou d’état médié par le cortex (en anglais on passerait ainsi de l’acronyme MCS pour minimally conscious state à CMS pour cortically mediated state).

Quid des possibilités thérapeutiques ?

Il existe des pistes pharmacologiques et différents procédés de neurostimulation. Il y a eu ce cas de stimulation du nerf vague, qui est une ­approche originale et prometteuse. Certains ­patients peuvent bénéficier d’une stimulation directe transcrânienne (TDCS). Cette technique non invasive a pu restaurer une communication fonctionnelle chez des patients qui présentaient déjà un fonctionnement cortical riche (c’est-à-dire des patients dits en état de « conscience minimale + »). Une stratégie de stimulation cérébrale profonde au niveau des régions thalamiques est aussi à l’étude, mais ce sont des traitements d’exception.

Lire aussi :   Lionel Naccache : « Il est problématique de parler de “conscience minimale” chez un patient »

Les projets d’homme augmenté, ou ­connecté, comme avec l’interface Neuralink d’Elon Musk, sont-ils de la science-fiction ?

Oui et non. Non parce que l’idée de produire des prothèses cérébrales est à l’origine de notre culture et de l’histoire, née il y a environ six mille ans avec l’invention de l’écriture et donc de la lecture, cette première prothèse mnésique de pensées symboliques, déjà en Wi-Fi qui plus est ! Ces premières prothèses cérébrales ont révolutionné le monde. Il va de soi qu’il y en aura d’autres. Il faut voir lesquelles et comment, à bonne distance des fantasmes et des idéologies.

Quand on parle du cerveau de demain, j’aime citer une expérience de l’Américaine Betsy Sparrow, publiée dans Science en 2011. Elle a ­démontré de manière très élégante que l’effet Google nous a fait changer de stratégie cognitive : quand nous sommes confrontés à des questions auxquelles nous n’avons pas de ­réponse, notre esprit/cerveau a intériorisé et automatisé la stratégie de faire appel à des ­moteurs de recherche. Le concept de « Google, Yahoo… » est activé à notre insu dans de telles situations quotidiennes.

Quid de l’éthique ?

Face à telle ou telle technologie cérébrale, l’idée n’est pas de dire « vade retro satanas », mais de rester lucide. Je propose de se poser ­systématiquement quatre questions. Il faut d’abord se demander s’il s’agit de fantasme ou pas, puis évaluer le rapport bénéfice/risque. ­Ensuite, il faut s’interroger sur l’injustice sociale que l’adhésion à cette technologie pourrait ­entraîner, et créer des armes culturelles, politiques, sociales pour prévenir ce risque. Par exemple, dans le cas de la lecture, cela s’est traduit dans la Déclaration des droits de l’homme par le droit à l’éducation. Enfin, il convient de questionner les risques de normalisation et d’injonction à la normalisation. Le danger serait de ne retenir de l’être humain que ce qu’on sait mesurer : sa vitesse, sa force… au détriment d’autres dimensions.

Ces questions sont-elles assez présentes dans des instances comme le Comité ­consultatif national d’éthique (CCNE) ?

Cette année, au CCNE, nous travaillons ­énormément en vue de la révision des lois de bioéthique. Un premier rapport de synthèse a été rendu en juin, à partir des 150 auditions qui ont été réalisées, des 32 000 contributions sur le site Internet, et des jurys citoyens. Ce qui est très étonnant, c’est que les sujets sur la reproduction et la fin de vie ont mobilisé l’essentiel, et les neurosciences très peu. Mon hypothèse, et cela montre la distance avec le fantasme, c’est que tant qu’une question ne se traduit pas par une problématique très concrète, comme la fin de vie ou la procréation – PMA (procréation médicalement assistée) et GPA (grossesse pour autrui) –, elle intéresse peu.

Vous vous penchez sur les croyances, ­évoquez une neuroscience de la ­subjectivité…

Ce qui m’intéresse dans l’étude de la conscience, c’est d’arriver à comprendre ce qui fait que quelqu’un pense ce qu’il pense. Car finalement, la seule chose dont on soit absolument certain, c’est le cogito de Descartes, c’est que je suis en train de penser – indépendamment du fait que ce soit vrai ou que nous hallucinions ensemble. J’appelle caméra subjective le fait que chacun est dans un monde subjectif, où l’on a un point de vue sur les autres et sur nous- même. Je parle aussi de « fiction interprétation croyance », pour traduire l’idée qu’il y a en permanence une reformulation interprétative de ce qu’on est en train de vivre, assortie d’une croyance plus ou moins forte et plus ou moins révisable. Par exemple, quand vous croisez une personne, vous vous dites d’abord c’est untel, puis vous vous rappelez qu’untel est mort ou à l’autre bout du monde, et vous récusez cette ­interprétation. Le schéma narratif est comme un manuscrit révisé sans cesse, de manière consciente et inconsciente.

Nous avons une capacité à prendre plus ou moins facilement de la distance avec nos croyances. On le voit bien avec la pathologie neurologique ou psychiatrique. Une personne qui a une idée délirante n’est en général plus capable, ou est peu capable, d’exercer cette mise à distance et cette révision de certaines de ses croyances.

Ces croyances subjectives sont-elles ­importantes dans le rapport à la science ?

Nous sommes des créatures subjectives ­capables de produire un discours scientifique objectif qui échappe à nos propres croyances. En cela, il y a une dimension poétique de cette condition de chercheur ou de créateur ­scientifique. Et lorsque nous sommes face à un fait de science, nous le vivons aussi à travers notre condition subjective, et lui associons une certaine croyance.

Prenons l’exemple des théories mathématiques. Aujourd’hui il est relativement facile de concevoir ce que sont des nombres complexes (certains d’entre eux portent le nom révélateur de nombres imaginaires !) ou des géométries non euclidiennes. Mais à l’époque de leur ­découverte, ceux qui y ont été confrontés ont d’abord vu leurs croyances chamboulées.

Il faut aussi prendre en compte l’émerveillement subjectif de la confrontation de l’individu avec des faits de science. Dans la connaissance scientifique, il y a une coexistence merveilleuse et féconde entre la glace de la science et le feu de la subjectivité.

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3 septembre 2018 1 03 /09 /septembre /2018 14:11
Droits d’auteur : ce que propose concrètement la directive européenne « copyright »

Les virulents débats entre ayants droit et plates-formes Internet concernent un partage plus équitable de la valeur et une juste rémunération des créateurs.

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Campagne antidirective copyright, devant le Parlement de Bruxelles : « Parlementaires : voulez-vous qu’on se souvienne de vous comme ayant censuré Internet? »

Comme nombre d’autres textes bruxellois, le projet de directive « copyright » est difficilement lisible pour le grand public : plutôt long (24 articles), très complexe, il a été maintes fois amendé, au Conseil (par les Etats membres) puis au Parlement européen, depuis la version initiale proposée par la Commission en septembre 2016. Et toutes les versions de travail ne sont pas publiques. Mais depuis deux ans, les débats, virulents, entre ayants droit et plates-formes du Web se sont concentrés sur deux articles : les 11 et 13. Et pour cause.

  • L’article 11

Il propose de conférer aux éditeurs de presse un « droit voisin » des droits d’auteur, ces derniers n’étant pour l’heure pas reconnus comme des titulaires de droits, et le droit d’auteur étant peu opérant pour la presse, puisqu’il ne protège que des contenus considérés comme « originaux ». Dotés de ces « droits voisins », les éditeurs peuvent théoriquement réclamer des droits aux plates-formes proposant un lien hypertexte vers leurs contenus, dès lors qu’il signale un titre suivi d’un court extrait, par exemple.

 

A en croire la Commission, qui a produit ces chiffres en 2016 au moment de proposer la directive, 57 % des internautes accèdent aux articles de presse par les réseaux sociaux, les agrégateurs d’information ou les moteurs de recherche.

Les opposants au texte, menés au Parlement européen par l’Allemande Julia Reda, dénoncent ce que la seule représentante dans l’hémicycle du parti Pirate (affiliée aux Verts), appelle une « link tax » (un impôt sur les hyperliens). Elle assure aussi que ce nouveau droit voisin constituerait une atteinte à la liberté d’expression pour les blogueurs par exemple. En outre, avance l’élue, l’Espagne et l’Allemagne, qui ont introduit le principe d’une rémunération pour les reprises d’extraits d’articles, ont constaté l’échec de ces mesures.

Faux, insistent les partisans du texte – les éditeurs, bien sûr, et la Commission –, « la directive ne va pas bannir les hyperliens, contrairement à ce qui est souvent prétendu dans le débat public », souligne Nathalie Vandystadt, porte-parole de l’institution. Le droit voisin octroyé aux éditeurs n’implique pas qu’ils vont exiger une rémunération pour chaque lien. « Nous n’allons pas introduire de taxe sur l’hyperlien », assure au Monde Fabrice Fries, le PDG de l’AFP. « Les droits voisins seront perçus exclusivement auprès des plates-formes de partage, c’est un champ bien délimité », ajoute le dirigeant.

  • L’article 13

Il stipule, dans la version initiale de la Commission, que les plates-formes diffusant des contenus téléchargés par les internautes « prennent des mesures […] appropriées et proportionnées » pour faire respecter leurs accords avec les titulaires de droits, dès lors que les contenus téléchargés reproduisent des œuvres ou des objets protégés par le copyright. Ces plates-formes sont donc tenues de conclure des contrats de licence avec les titulaires de droits, puis de faire respecter ces contrats.

Les détracteurs du texte, à commencer par l’association des plates-formes Edima (Google, Facebook, eBay…), crient à la « censure de l’Internet », pointent le danger qu’il y aurait à exiger de tous les sites accueillant les téléchargements d’internautes un filtrage exhaustif de leurs contenus.

Pas question de censurer le Web, proteste la Commission, qui relève que les filtrages de contenus liés à des droits existent déjà, comme Content ID, utilisé par YouTube. Il est vrai que la version de la commission JURI du Parlement européen, retoquée une première fois en plénière, début juillet, manquait de clarté quant aux garde-fous protégeant la libre expression des internautes.

La version négociée au Conseil introduit une flexibilité pour les petites plates-formes, ayant moins de moyens qu’un YouTube pour introduire des logiciels de filtrage. Axel Voss, le rapporteur (conservateur, allemand) du projet de directive à Strasbourg, pourrait choisir de se rapprocher de cette mouture pour espérer obtenir une majorité en faveur du texte, lors du vote en plénière prévu le 12 septembre.

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3 septembre 2018 1 03 /09 /septembre /2018 14:05
A Bruxelles, l’intense guerre des lobbys autour de la directive « copyright »

Les deux camps, géants d’Internet, d’un côté, éditeurs de presse et créateurs, de l’autre, sont chauffés à blanc, à quelques jours du vote décisif du 12 septembre au Parlement européen.

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Bruxelles, qui s’y connaît en la matière, a rarement connu bataille de lobbys aussi intense. Pour ou contre la directive « copyright » ? Les deux camps, GAFA (acronyme utilisé en Europe pour désigner Google, Apple, Facebook et Amazon) et partisans autoproclamés d’un Internet sans entrave, d’un côté, éditeurs de presse et monde de la création, de l’autre, ont sorti l’artillerie lourde.

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Campagne d’e-mailing géante, multiplication des tribunes dans les médias, des collectifs dans l’édition musicale, déclaration depuis Venise côté cinéma, les esprits sont chauffés à blanc à quelques jours d’un vote décisif au Parlement européen, programmé le 12 septembre, et à quelques jours de la clôture pour le dépôt des amendements, le 5 septembre.

Fossoyeurs des médias, d’un côté, censeurs en puissance de l’Internet, de l’autre : l’affrontement est brutal, les arguments sans nuance. Et pour cause. Le projet de directive aborde un sujet existentiel pour les contenus : la presse, l’audiovisuel, le cinéma, la musique. Pour Google ou Facebook, c’est une question de gros sous, forcément délicate : ils risquent d’engranger – un peu – moins de profits dans l’Union européenne.

Lire aussi :   L’ère révolue de l’acronyme « GAFA »

Le projet de directive a été proposé par la Commission il y a juste deux ans. « Son objectif est simple : rééquilibrer un rapport de force entre auteurs et grandes plates-formes en ligne qui, trop longtemps, a été à l’avantage des seconds », précise la commissaire au numérique, Mariya Gabriel.

Les parlementaires français ont fait bloc

Le texte instaure un droit voisin (du droit d’auteur qui protège les œuvres) pour les éditeurs de presse (article 11) et réclame des plates-formes accueillant les téléchargements des internautes un filtrage de ces contenus de manière à faire respecter les droits qui peuvent y être attachés (article 13). Grâce à ces dispositions, les créateurs et éditeurs de presse pourront mieux faire valoir leurs droits, alors que leurs contenus contribuent encore presque gratuitement à l’énorme production de revenus publicitaires des GAFA (Google a engrangé presque 11 milliards d’euros de profits en 2017, Facebook 13,8 milliards).

La directive « doit contribuer à préserver ce que nous chérissons le plus en Europe : la culture, la créativité, la liberté d’informer et d’être informé, la diversité des opinions et, finalement, nos valeurs démocratiques », ajoute Mme Gabriel, qui, comme le président Jean-Claude Juncker, s’inquiète, à l’approche des élections européennes, de la montée des populismes, souvent hostiles aux médias traditionnels.

Dans la guerre d’influence à laquelle se livrent les deux camps, c’est celui des antidirectives qui a gagné la première manche. Le 5 juillet, grâce à une campagne-éclair, massive, ils ont fait vaciller les convictions d’une majorité des parlementaires, qui ont repoussé en plénière une première mouture du texte.

Lire aussi :   Droits d’auteur : la directive révisée sur le copyright adoptée

Si les Français, tous partis confondus, ont fait bloc derrière la directive, les sociaux-démocrates et les conservateurs allemands étaient divisés, comme les Italiens. La délégation polonaise, elle, a voté massivement contre.

Côté « ayants droit », on le reconnaît à mots couverts : ils n’ont certes pas ménagé leur peine pour sensibiliser à leur cause, bien en amont de la publication de la directive par la Commission. Mais ils ont mené une campagne très classique, privilégiant la rencontre d’élus et de commissaires, arguments juridiques sous le bras.

La campagne des « anti » les a pris de court, les GAFA avançant à peine masqués derrière leur syndicat bruxellois, l’association Edima. D’autres lobbys – CCIA, C4C ou Openmedia.org – orchestrent des campagnes sur Twitter (#saveyourinternet, #deletearticle13) et Openmedia.org propose aux internautes de bombarder d’e-mails les eurodéputés de leur choix. Ils entrent en résonance avec le travail de sape mené depuis 2016 par l’élue allemande Julia Reda (Groupe des Verts), seule représentante du Parti pirate à Strasbourg, arc-boutée contre les arguments des ayants droit.

Le député français (Les Républicains, Parti populaire européen) Marc Joulaud, très investi sur le texte, « a reçu au moins 10 000 e-mails, uniquement de la plate-forme #saveyourinternet », selon son attaché parlementaire, Quentin Deschandelliers. Même type de témoignage du centriste Jean-Marie Cavada (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ADLE), vice-président de la commission des affaires juridiques. Les messages jouent sur l’émotion et la culpabilité, n’hésitant pas, dans la campagne #fixcopyright d’Edima, à assimiler les prodirective aux censeurs de la première guerre mondiale.

Côté ayants droit, on sonne l’alarme. Les premières interrogations pointent : leur campagne a pu faire douter les élus, en mobilisant surtout des vedettes peu affectées par la révolution numérique. Ainsi, la lettre ouverte de Sir Paul McCartney, où l’ex-Beatles supplie les eurodéputés de voter la directive début juillet.

La presse écrite monte en première ligne

Les accusations suivent : les ayants droit dénoncent les outrances de la partie adverse, contestent la réelle mobilisation des anti sur le terrain. « Quand Julia Reda a appelé à manifester [les 25 et 26 août], il n’y avait presque personne dans la rue », souligne David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), participant à la campagne « Europe for Creators », lancée fin août.

Lire aussi :   Bruxelles détaille son « agenda numérique »

En revanche, Olivier Hoedeman, de l’association CEO, très reconnue pour son travail de veille sur les lobbys bruxellois, doute de la pertinence des faramineux 31 millions d’euros qu’aurait dépensés Google contre le copyright, comme l’a avancé le lobby UK Music : « Ce chiffre est grossièrement trompeur. Google a déclaré avoir dépensé l’an dernier entre 5,25 et 5,49 millions d’euros en lobbying à Bruxelles, mais le groupe fait du lobbying sur bien d’autres sujets que le copyright. »

Fin août, la presse écrite, jusqu’alors discrète, est montée en première ligne, avec une tribune publiée dans de nombreux médias européens (Le Monde et Le Figaro, en France). Son auteur est Sammy Ketz, directeur du bureau de l’AFP à Bagdad. Il défend un journalisme de terrain et se dit « convaincu que les députés abusés par un lobbying mensonger ont désormais compris que la gratuité d’Internet n’est pas en cause. Il s’agit de la défense de la liberté de la presse, car si les journaux n’ont plus de journalistes, il n’y aura plus cette liberté ». « Nous espérons un partage raisonnable de la valeur en ligne et freiner la réduction des effectifs dans les salles de rédaction », explique Fabrice Fries, le PDG de l’AFP.

Cette prise de parole aura-t-elle convaincu les élus réfractaires ? Côté ayants droit, on a conscience que, pour obtenir un feu vert définitif à Strasbourg, des amendements aux articles 11 et/ou 13 seront inévitables. Une attitude trop rigide signerait la mort de la réforme, car le texte n’aura aucune chance d’être adopté avant des années, si la montée des populistes se confirme lors des élections européennes. « Or d’ici là, le marché publicitaire aura été complètement laminé par les GAFA », souligne M. Cavada.

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 12:21

Un gros noeud dans le ventre se forme.

Ca y est, je ne peux plus reculer. Je dois écrire. J'ai passé des heures à regarder des sites sur "comment bien écrire" et autres "écrire en 10 leçons". J'ai lu des pages de conseils que je connais déjà pour la plupart. Mais ce n'est pas parce qu'on sait en théorie comment monter une étagère qu'on est capable de le faire. Je le dis d'autant plus volontiers que je suis tout sauf bricoleuse. Tous les appartements que j'ai habités vous le diront.

Donc, voilà, il faut s'y mettre. Je cherchais la méthode parfaite et la meilleure, c'est encore la mienne. Celle que j'invente à chaque fois, pour chaque nouveau projet. C'est en cela que c'est une découverte perpétuelle.

Bon, je vais m'y mettre. Ecrire, c'est avant tout mettre un mot après l'autre. En espérant que cela formera un tout, une charade cohérente.

Pourquoi écrire ? C'est une question qui n'a pas de sens. Pour moi, c'est plutôt : "Comment écrire ?".

Un mot après l'autre. Après celui-là. Et après ce point. Et ceux-là...

 

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