
Mardi 10 janvier, Christophe Barbier déclenchait la polémique en déclarant à propos de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes : « Les entreprises vont avoir beaucoup de mal à encaisser ce surcoût de main d’œuvre ». Il qualifiait même cette idée « d’utopiste », qui, si elle était mise en œuvre, obligerait les entreprises à licencier. En bon chien de garde, Christophe Barbier a essayé de défendre le modèle dans lequel il a prospéré : celui d’une économie patriarcale. C’est à dire un système où la surexploitation des femmes est source de valeur.
Je pourrais m’arrêter et considérer que répondre plus en détails reviendrait à perdre mon temps. Sauf qu’en tant que femme, et en tant que féministe, j’en ai marre d’entendre et de lire que nous sommes responsables de tous les maux de la terre.
L’égalité salariale est une utopie ? Ça veut dire qu’on vous fait perdre votre temps. L’égalité salariale conduirait à des licenciements ? En fait, c’est ça notre plan machiavélique. D’ailleurs on a oublié de vous le dire, mais le chômage c’est de notre faute aussi : si on retournait à la maison, on libérerait des emplois. C’est peut-être ce que croit Christophe Barbier, au fond.
Alors avant même de démonter son raisonnement, j’aimerais m’étonner de la première phrase qu’il a prononcée pour introduire le sujet : “Si on paye les femmes comme des hommes, à compétences égales, et tout le monde le souhaite...”
Quel besoin avait-il de dire cela ? Alors que son propos visait justement à montrer le contraire ? Voulait-il se draper de bonnes intentions ? Se prémunir de la critique ? Anesthésier l’analyse féministe ?
La vague de réactions sur les réseaux sociaux a montré l’inefficacité du procédé. Le souhait d’égalité ne peut pas être brandi à tout bout de champ, ça n’est pas un talisman, ni une pirouette rhétorique. On le réaffirme dans la nouvelle campagne d’Osez le Féminisme ! : “L’égalité n’est pas une promesse. C’est notre combat.”
Il faut rappeler que le principe de l’égalité salariale est inscrit dans la loi depuis 1972, renforcée par différentes lois sur l’égalité professionnelle (Loi Roudy de 1983, loi de 2006). Et pourtant les écarts de rémunération restent énormes : 26% de différence de revenu entre les femmes et les hommes, 13% à poste égal, et 42% au moment de la retraite. Ces discriminations sont inacceptables et surtout illégales au regard des textes en vigueur depuis 45 ans. On ne dit donc pas “d’un seul coup” qu’il faut l’égalité salariale. L’égalité salariale n’est pas une utopie, c’est la loi. Ou quand les féministes défendent l’ordre juridique face à un éditorialiste anarchiste sévissant à l’Express…
Lors de cette intervention, Christophe Barbier réagissait à des propos de Jean-Luc Mélenchon. Il a résumé le tout en disant que ces “propositions sont assez jolies, assez utopistes, et finalement participent à une amélioration de l’humanité et ne tiennent pas la route quand on veut les appliquer”. Il fallait s’arrêter à “amélioration de l’humanité”. Quand on reconnaît que l’égalité salariale permet un tel progrès, il faut se donner les moyens de la réaliser. Agir autrement ça n’est pas seulement renoncer, c’est se compromettre. On ne peut s’empêcher de penser à la gamme d’arguments déployée par les états du sud des Etats-Unis, à l’époque où l’abolition de l’esclavage était à leurs yeux une terrible menace sur leur système économique.
Christophe Barbier est en fait plongé dans une dystopie effrayante qui l’empêche de réfléchir de manière rationnelle. Il semble convaincu que le système actuel est viable, et qu’il peut perdurer. Comme beaucoup d’autres, il a un angle mort, celui des femmes. Grâce à cela il est aveugle aux violences économiques que nous subissons de plein fouet, il ignore la précarisation spécifique à laquelle nous faisons face.
Payer les femmes comme des hommes n’est pas un surcoût. Nous ne voulons pas être payées comme des hommes. Nous voulons être payées, comme des femmes. Nous voulons êtes payées, tout simplement.