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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 17:24

En Egypte, 97% des femmes seraient excisées.

 

A lire ci-dessous  :

 

Phénomène. Une étude officielle révèle que 97 % des femmes en Egypte sont excisées. Or, ce chiffre soulève une vive polémique et révèle à quel point la question demeure sensible.

Les chiffres muets de l’excision

Selon la dernière étude démographique (DHS, Demographic Health Survey) effectuée par le Conseil national de la maternité et de l’enfance, 97 % des Egyptiennes sont excisées. Un chiffre alarmant qui a provoqué un tollé. D’après les déclarations officielles lors de la conférence pour la lutte contre l’excision qui s’est tenue à Nairobi en septembre dernier, le nombre de femmes excisées serait en baisse. Cependant, les activistes et les ONG qui œuvrent sur le terrain ne sont pas de cet avis. « La question est bien plus compliquée. Tout le monde s’accuse. La mère reproche au père d’être le responsable alors que lui-même accuse l’homme de religion et que ce dernier porte des accusations contre le médecin. On a l’impression de tourner en rond ; il faudrait un grand bouleversement social pour en finir », assure le Dr Magdi Helmi, directeur du secteur de la santé à l’association Caritas et qui a travaillé pour la lutte contre l’excision durant 10 ans en Haute-Egypte.

Et, bien que le ministère de la Santé ait promulgué en 1996 un décret qui interdit aux médecins de pratiquer des excisions, notamment dans les hôpitaux publics, les chiffres assurent que presque 61 % des femmes ont été excisées à domicile ! Plus encore, les deux dernières études démographiques effectuées en 1995 et 2000 révèlent que le nombre de femmes excisées est demeuré inchangé. Pour les uns, ces associations ont sûrement des intérêts personnels. « Certaines ONG tirent profit de ce phénomène, non seulement pour exister, mais aussi pour recevoir des aides provenant de l’étranger », confie le Dr Ahmad Abdel-Moneim, responsable du Projet de la santé de la famille arabe (PAFAM) à la Ligue arabe. Pour d’autres, ce chiffre est une onde de choc pour l’opinion publique au point que les responsables du Conseil national de la maternité et de l’enfance qui ont effectué cette recherche ont beaucoup hésité avant de divulguer ces résultats. « Il ne faut pas adopter la politique de l’autruche. La première étape pour résoudre le problème est d’admettre cette vérité », rétorque Marie Assaad, coordinatrice du mouvement égyptien pour la lutte contre l’excision.

Il faut cependant savoir que ce phénomène a la peau dure. Déjà, en 1928, l’excision était interdite dans les hôpitaux égyptiens. Et malgré cela, cette pratique a continué. Et on a toujours trouvé des médecins prêts à l’exercer.


Un casse-tête pour les chercheurs

Ce sujet très sensible dont on ne parle pas ouvertement a toujours été un vrai casse-tête pour les chercheurs, qui ont du mal à aboutir à des résultats précis. Lors de la conférence sur la population tenue en Egypte en 1994, la chaîne satellite CNN avait diffusé un documentaire montrant une petite fille égyptienne en train de se faire exciser. L’affaire avait fait beaucoup de bruit et la chaîne a été accusée de vouloir ternir l’image de l’Egypte aux yeux du monde entier. Une situation qui a provoqué l’effet contraire et, depuis, la lutte contre l’excision est devenue pour l’homme de la rue une affaire suspecte liée à des intérêts étrangers. « Lors de nos recherches sur le terrain, lorsqu’on demandait aux gens leur avis à propos de l’excision, on nous accusait de faire partie d’un projet américain. De plus, le nombre des participants à nos colloques ne dépassait pas les 5 personnes. Les gens estimaient que le fait de boycotter ces rencontres était un devoir patriotique. Et on n’obtenait jamais des réponses correctes ou claires, le sujet étant sensible », affirme Adham, coordinateur dans le projet national de lutte contre l’excision dépendant du Centre national de la maternité et de l’enfance au village d’Al-Galsa, à Béni-Souef.

La réponse dépendait parfois des tendances du chercheur. Riham, professeur dans un village à Tanta qui a été excisée, de même que ses filles, assure qu’elle a dû mentir au chercheur qui l’a questionnée pour ne pas ternir son image, car en tant qu’enseignante elle est supposée être une personne ouverte et consciente des effets néfastes de l’excision !

Pour d’autres, bien qu’elles ne soient pas excisées, elles préfèrent dire le contraire car c’est un signe de respect pour leur entourage. Soha, 22 ans, fille d’une féministe, habitant le quartier de Hélouan, au Caire, s’apprête à se marier. Elle a dû mentir pour ne pas subir des reproches de sa belle-famille qui considère encore l’excision comme un symbole de chasteté. « Faut-il sacrifier mon mariage ou bien se soumettre à la volonté d’une société ? J’ai opté pour le compromis », assure-t-elle. « Les études concernant l’excision posent les questions de manière directe alors que la meilleure méthode pour obtenir de bons résultats est de former des groupes d’étude (Focus Groups) et d’enregistrer leurs tendances à l’égard de cette pratique. Mais le problème est que cette méthode employée dans les recherches sociales est rarement appliquée dans les études effectuées en Egypte », confie le Dr Abdel-Moneim, chercheur qui a fait plusieurs études sur la maternité et l’enfance dans le monde arabe. Il ajoute qu’il avait effectué des études sur l’excision dans certains pays qui n’ont pas le poids de l’Egypte, comme le Yémen et Djibouti, où le taux de femmes excisées n’a pas dépassé les 30 %. « Alors, pourquoi ce taux est-il si imposant en Egypte ? », s’interroge-t-il.

Marie Assaad assure que l’Egyptien est fidèle à ses traditions. « Je travaille dans le domaine de la lutte contre l’excision depuis les années 1950. Et lorsqu’on posait des questions concernant cette pratique, on obtenait toujours les mêmes réponses. Cela veut dire que cette mentalité est transmise de père en fils, malgré les efforts déployés », souligne-t-elle.


L’échantillon mis en cause

Et ce n’est pas tout. Aujourd’hui, le bureau des plaintes au Conseil national de la femme ne cesse de recevoir des doléances qui mettent en cause ce chiffre. « Dans mon entourage et mes connaissances, aucune fille n’a été excisée, est-ce que je vis sur Mars ou en Egypte ? Où sont donc les 97 % des filles excisées ? », s’indigne Abla, comptable de 58 ans dont quatre générations de sa famille n’ont pas eu recours à cette pratique. De plus, il existe aujourd’hui des villages, ajoute Mahmoud, journaliste de 45 ans, où l’on a irradié l’excision, comme à Deir Al-Barcha situé à Mallawi, en Haute-Egypte. « Comment l’excision peut-elle enregistrer ce taux élevé alors que la Haute-Egypte, où les traditions semblent solides comme les roches, commence à évoluer », poursuit-il.

Marie Assaad, quant à elle, assure qu’on ne peut pas fonder une étude scientifique sur des observations personnelles. « Notre entourage ne représente pas toute la société », avance-t-elle.

Cependant, Abdel-Moneim, chercheur, exprime un certain doute quant à la représentativité de l’échantillon choisi. « Il ne faut pas, par exemple, baser cet échantillon sur Manchiyet Nasser ou bien les bidonvilles des alentours du Caire. Cela veut dire que si les Cairotes représentent 11 % de la population égyptienne, cela doit apparaître dans l’échantillon », assure-t-il.

Le problème réside également dans le fait que la catégorie d’âge interrogée ne représente pas souvent la société. « On effectue les études sur les femmes en âge de procréation, c’est-à-dire entre 15 et 49 ans », avance Magdi Helmi.

Cela justifie la raison pour laquelle le taux de l’excision affiché par le dernier chiffre officiel est le même que celui de 1995. « C’est quasiment le même échantillon de femmes dans la même catégorie d’âge qui a été interrogé, encore une fois par la deuxième étude en 2000 », confie Assaad.

L’étude effectuée en 2001 par la sociologue Nahed Ramzi, chercheuse au Centre national des études sociales et criminelles, révèle que le taux des filles excisées est de 80 % au niveau de l’Egypte. Mais ce chiffre devient important dans les régions rurales et atteint plus de 94 % dans les bidonvilles, comme Manchiyet Nasser, aux environs du Caire.

Cette bataille des chiffres est donc loin d’être terminée. Mais sur le terrain, y a cependant l’espoir de voir les choses changer. Ainsi, un projet adopté par le Conseil national de la maternité et de l’enfance vise à créer des villages sans excision. Ce projet est actuellement en cours dans 60 villages égyptiens de 6 gouvernorats de Haute-Egypte (Béni-Souef, Minya, Sohag, Assouan, Qéna, Assiout).

Une expérience dont la nouvelle génération de femmes va profiter. « On a remarqué au cours de ces dernières années que les familles ont de plus en plus tendance à rejeter cette tradition. On peut même observer dans une même famille une grande sœur excisée alors que la cadette et la benjamine n’ont pas subi ce même sort », explique Assaad.

Elle donne l’exemple de Nadia, âgée de 5 ans, qui habite un village du gouvernorat de Qéna et qui est la première fille dans sa famille à n’avoir pas été excisée après des siècles qui ont vu toutes les femmes subir cette mutilation .

Dina Darwich
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