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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 19:19
Séries télé: les scénaristes français la jouent collectif

Par Sandra Benedetti, publié le 25/01/2014 à  18:06

Kaboul Kitchen saison 2, actuellement sur Canal +, c'est eux. Fais pas ci, fais pas ça, aussi. Trentenaires, ils font partie du Sas, un collectif de jeunes scénaristes qui travaillent à l'américaine et imaginent quelques-unes de nos meilleures productions télé. 

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Séries télé: les scénaristes français la jouent collectif

 

Le Sas, 16 scénaristes des séries Fais pas ci, fais pas ça, Un village français, Les Bleus, Falco... Ici, Franck Monsigny et Sagamore Stévenin (Falco), un inséparable duo de flics.

 

 

© C. Chevalin / TF1

 

Il y a des lianes, des chevelus, des circonspects, des coquettes, des pince-sans-rire et des rigolos. Sur la photo, ils sont 12. En vrai, ils sont 16. Tous scénaristes. Pour Fais pas ci, fais pas çaCherif,Un village françaisLes BleusFalco, Parents mode d'emploi. Et pour l'épatante saison 2 de Kaboul Kitchen, qui vient de débuter sur Canal +, coécrite en partie par Benjamin DupasFanny Herreroet Quoc Dang Tran. Eux et leurs copains sont les as du Sas, un collectif qui entend tutoyer la maîtrise américaine. 

Parce que ça commence à bien faire. Le Français a l'esprit cocardier, sauf quand il se case devant le poste pour regarder une série. On a beau dire, on a beau faire, il préfère le made in America aux créations nationales. Selon une étude de Pure Médias, fondée sur les meilleures audiences de 2013, toutes chaînes confondues, Mentalist, Esprits criminels et Unforgettablefigurent au Top 3 de nos séries préférées. Que des trucs fabriqués chez l'Oncle Sam. Et ça fait des années que ça dure. Sans parler de Breaking Bad, de Game of Thrones, etc., sitôt diffusés aux Etats-Unis, sitôt téléchargés et encensés sur le Net. 

La solution pour enrayer la machine consisterait, selon certains, à adapter chez nous la méthode américaine : un atelier d'écriture où cogite, discute et griffonne une équipe d'auteurs sous la supervision d'un showrunner, c'est-à-dire une sorte de demi-dieu qui, non content d'être le créateur de la série, chapeaute aussi les scripts, la production, la réalisation et le montage. Pas si simple à appliquer, la tradition, en nos riantes contrées, voulant que l'auteur d'une série se mêle uniquement de ses oignons. Chacun son métier et les vaches seront bien gardées. 

Guillaume de Tonquédec (Fais pas ci, fais pas ça), en père de famille conformiste.

Guillaume de Tonquédec (Fais pas ci, fais pas ça), en père de famille conformiste.

© Veronique FEL / FTV / Elephant S

Quant à fédérer un groupe de scénaristes, ce n'était pas tout à fait le genre de la maison il y a encore six ou sept ans. Une des rares séries 100% hexagonale procédant à la manière des Etats-Unis est Un village français, conçue sous la houlette de Frédéric Krivine, avec la bénédiction de France 3. Trois ans à suer sur les scénarios avant la diffusion du premier épisode, en 2009. Et des intrigues renversantes saluées par la critique et le public. Benjamin Dupas et Frédéric Azémar y ont fait leurs classes dès la première saison. "Grâce à Frédéric Krivine, on s'est rendu compte que c'était possible, pour des scénaristes français, de travailler ensemble", commente le plus barbu des deux. Le constat ne tombe pas dans l'oreille d'un unijambiste. 

En 2007, le duo se retrouve au festival Scénaristes en séries, à Aix-les-Bains, écoute les doléances de tout un chacun, assiste à des débats où ça grince et où ça grinche. Dans le train du retour, entre deux cafés au wagon-restaurant, Benjamin Dupas livre à son compère une idée qui lui trotte dans la tête : "Je lui ai proposé de former un collectif pour partager notre travail, pratiquer une espèce d'autoformation, s'améliorer, se remettre en question et se sentir en famille plutôt qu'au milieu d'une jungle. Je crois qu'il faut être solidaire et échanger nos expériences pour faire bouger les lignes dans ce métier." 

Le collectif se nomme Sas, comme le bar d'une série québécoise

Fanny Herrero, Marine Francou et Elsa Marpeau, des complices de boulot, sont aussi partantes. Donc, c'est parti. Ils nomment leur collectif le Sas, comme le bar de nuit de la série québécoise Minuit, le soir. Ils convient d'autres belles plumes à se joindre à eux. Se réunissent tous les quinze jours pour dépiauter le scénario en cours de développement de l'un d'entre eux ou pour cuisiner un invité, avocat, flic, sociologue, écrivain.  

C'est ainsi que Violaine Bellet, regard pétillant sous une avalanche de boucles, a intégré la tribu : "J'étais venue témoigner en tant que psychologue, et ils m'ont offert de rester dans le groupe." Il faut dire que Violaine est conseillère en psychologie des personnages sur Les Revenants, Un village français, Ainsi soient-ils, en plus d'être coscénariste de Q.I. Généralement, le recrutement d'un membre a plutôt lieu après observation dans son habitat naturel.Olivier Dujols, un grand brun tout en cheveux qui a participé à l'écriture de Cherifet de Falco, a été repéré par Frédéric Azémar alors qu'il oeuvrait sur un épisode d'Odysseus, la série d'Arte. "C'est très empirique, avoue l'énergique Fanny. Il faut qu'on sente une convergence de vues, un enthousiasme chez les nouveaux."  

Pendant que le Sas s'étoffait, le recours aux ateliers d'écriture s'est accru au sein des chaînes et d'autres scénaristes ont fondé leur propre collectif, comme les Indélébiles, A suivre ou la Mafia princesse. "On en a été les initiateurs, mais on n'a pas inventé la poudre", tempère Benjamin Dupas. La poudre, non, mais une marque de fabrique qui rassure les producteurs et les diffuseurs. "Ils cumulent plus d'expérience que les autres et surmontent mieux les difficultés. Ils suivent une formation continue grâce à leur collectif, c'est idéal", confirme Véra Peltekian, chef de projet fiction à Canal +.  

"A force d'analyser les séries étrangères et de disséquer nos pilotes, on a affiné le travail sur la dramaturgie. On n'est pas encore assez bons pour égaler les Anglo-Saxons, mais, en débattant ensemble d'un projet, on découvre d'autres approches scénaristiques et on apprend à réfléchir collectivement, admet Frédéric Azémar. Quand un producteur engage plusieurs membres du Sas, il sait qu'il gagnera en rapidité parce qu'on a un langage commun." Car l'intérêt d'amalgamer des scénaristes n'est pas seulement de perfectionner les intrigues, mais aussi d'enchaîner les saisons, histoire de fidéliser le téléspectateur. 

Abdelhafid Metalsi (Cherif), en Starsky à la mode lyonnaise.

Abdelhafid Metalsi (Cherif), en Starsky à la mode lyonnaise.

© MAKING PROD/FTV

Encore faut-il que les auteurs acceptent la contestation et la discussion. Ce qui n'est pas toujours le cas, selon des sources bien informées qui évoquent des gueulantes sismiques et des démissions brutales. L'humilité et l'échange ne s'improvisent pas, ils s'apprennent. Les scénaristes américains les ont assimilés dès leur formation. Les Français, eux, s'y initient sur le tas et sur le tard.  

Avec la nouvelle génération, composée de trentenaires plus ou moins avancés, ça se passe mieux qu'avec les vieux de la vieille, trop habitués à phosphorer en solo. "Grâce au collectif, on a développé une complicité qui nous permet d'essuyer les critiques, explique Marine Francou. On discute, on prend les remarques en compte et on note les idées apportées par le groupe." Dans le détail, comment ça marche ? 

Rendez-vous est pris le mardi, à 19h30, chez Fanny. Des poutres apparentes, une trottinette d'enfant dans un coin, une cuisine américaine et des paquets d'amuse-gueule en vrac sur la table basse parmi un tas de bouteilles. Les neuf joyeux drilles du jour discutent âprement des avantages et inconvénients des Pringles.  

C'est mieux quand c'est rangé en pile, les chips. Oui, mais c'est pas bon. Bref. Florent, l'opéré du jour, se lance : "Je vous ai envoyé un texte, que j'ai repris, écrit il y a six ans. Plusieurs producteurs étaient intéressés, mais il est resté dans les tiroirs. C'est un portrait de groupe clairement influencé par Girls." Benjamin se penche sur sa chaise, sérieux : "C'est du 26 minutes ? Vous visez quoi ?" Florent : "Canal + ou Arte. Mais je n'ai pas envie de dénaturer le projet pour répondre à une demande." La fluette Cécile éternue dans son écharpe. 

Ils ont tous planché sur le texte et consigné leurs réflexions

Frédéric se ronge un ongle. Olivier, enlisé dans le canapé, balance : "Je n'ai pas trouvé de structure, je n'ai vu qu'un empilage de gags. Dans Girls, tout tourne autour du désir d'écrire." Fanny : "Ça manque de chaleur, d'amour et de tendresse." Antonin : "Qu'est-ce qu'on espère, qu'est-ce qu'on redoute ? Faut qu'on redoute l'explosion de la bande." Florent, songeur : "Il faut peut-être remonter tous les enjeux dans le pilote..." Marine : "Il faut un personnage à un moment charnière de sa vie..." Olivier : "Il faut que tu privilégies un ou deux personnages, pas les six à chaque fois. Dans le pilote de Friends, tous les rapports de proximité sont établis ; dans ton texte, on ne sent pas encore tout ça." 

Il sera aussi question d'un chat dyslexique, de Clara Sheller, du manque de séries "sortie de lycée" et du sexe énorme d'un mec dans Mon oncle Charlie. Ça ressemble à une soirée entre potes, mais ils ont tous planché sur le texte de Florent et consigné leurs réflexions. C'est dans ce ping-pong verbal, bourré de références, de commentaires bruts de fonte et de poilade, que se peaufinent les scénarios. Et que naît le dessus de la crème du must des séries françaises. 


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/tele/series-tele-les-scenaristes-francais-la-jouent-collectif_1316721.html#hJHA0wgKpTVejkOW.99

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